• du style...

     

    J’interromps ma lecture de la Correspondance de Flaubert, lors d’une lettre à Louise Colet le 16 janvier 1852, pour relever ce passage :

    « Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attaches extérieures qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, comme la terre sans être soutenue tient en l’air, un livre qui n’aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible si cela se peut. Les œuvres les plus belles sont celles où il y a le moins de matière ; plus l’expression se rapproche de la pensée, plus le mot colle dessus et disparaît, plus c’est beau. Je crois que l’avenir de l’Art est dans ces voies. »

        Ces phrases sonnent telle une révélation où l’auteur exprime son but ultime, l’idéal de création définie, et extraite à la lumière. En peine écriture de Mme Bovary, il construit son œuvre dans les lignes directrices de sa vision de l’Art. Connaissant déjà l’expression employée pour décrire le roman (« un livre sur rien »), je pense qu’il est possible d’affirmer que Flaubert est resté fidèle à son vœu. Bien que l’histoire soit d’une extrême finesse psychologique, creusée dans la description et le portrait des protagonistes, on lit et relit l’œuvre pour la perfection du style, le plaisir de la sonorité si harmonieuse de chaque phrase. Car tout comme lui, j’admets que la prose revêt autant de pouvoir et de lyrisme que le vers, que la prose sait se faire aussi belle, aussi imagée. « Une bonne phrase de prose doit être comme un bon vers, inchangeable, aussi rythmée, aussi sonore. Voilà du moins mon ambition… » affirme l’écrivain à sa Muse, le 22 juillet 1952. 

    Un livre, une œuvre littéraire (roman, fiction ou essai) se tient aussi bien par son style que son contenu car la manière de formuler les idées important autant que les idées formulées. Je n’entends pas par là profiter absolument de la richesse de la langue française, songeant à Proust dont les phrases admirables et bien tournées ne présentaient cependant pas un vocabulaire extrêmement varié, d’après les analyses. Ainsi, l’importance du style ne résiderait-elle pas dans la conception ? D’après Flaubert, il est nécessaire de se montrer précis, de choisir les mots adéquats.
    Si sa Correspondance permet de découvrir l’homme quotidien qui se cache derrière « l’homme de plume », ce sont les lettres de ce dernier qui me semblent les plus fascinantes, où il expose ses théories, ses idéaux, ses fils conducteurs.

    Quant au style, il fait partie de l’attribut de l’écrivain, comme une carte d’identité, une caractéristique unique et particulière de l’expression, qui rend l’œuvre et l’homme unique. Savoir narrer, entraîner le lecteur, dépeindre les émotions reste tout un art, comparable à la peinture pour un certain nombre d’auteurs. Rilke tentait d’écrire comme Cézanne peignait, Gautier fervent dessinateur utilisait la description de type picturale (dans Spirite par exemple), Simon s’est inspiré des arts plastiques en composant La Route des Flandres par fragments sur des bandelettes de papier coloré. Et Proust affirme en 1913 que « le style n’est nullement un enjolivement comme croient certaines personnes, ce n’est pas même une question de technique, c’est –comme la couleur chez les peintres – une qualité de vision, la révélation de l’univers particulier que chacun de nous voit, et que ne voient pas les autres. »


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